RueMeurt D’Art, on l’appelle également, « l’homme en blanc », parce qu’il ne se sépare jamais de sa combinaison blanche lorsqu’il effectue ses collages. C’est un artiste qui transforme chacun de ses collages en une fête à laquelle il invite le public et d’autres amis artistes (musiciens, écrivains, poètes, comédiens…).
Il fait partie de cette génération des pionniers du street art, avec des Jérôme Mesnager, Jef Aérosol, Miss.Tic… A la différence que quasiment tous sont des pochoiristes, alors que lui est le seul à cette époque à coller sur les murs ses toiles peintes.
Je suis allé à sa rencontre, pour une petite interview.
Peux-tu te présenter, en quelques mots?
Je suis un street-artiste, depuis septembre 1991, dans la catégorie des « colleurs-afficheurs ». Je suis également et surtout, un artiste-peintre.
Pourquoi le street art?
Au début, j’ai fait des trompe-l’œil pour des commanditaires privés, mais ça ne me satisfaisait pas. Je voulais partager ma peinture avec le plus grand nombre, offrir aux passants une peinture qui soit aussi soignée que si c’était un tableau. C’est la raison pour laquelle je me suis dirigé vers le street art (qu’on appelait graffiti à l’époque). A partir de septembre 1991, j’ai fait des collages à Colombes, ma ville. Ils ont beaucoup intrigué, plutôt favorablement, car ce n’était pas du graffiti et j’étais le seul à utiliser cette technique de la toile collée.
Justement, pourquoi avoir choisi cette technique ?
Parce que la toile collée offre le double avantage de pouvoir déplacer les œuvres si nécessaire, et de ne pas dégrader les murs. Et puis, ça se colle très vite. De plus, j’ai adopté un parti-pris très différent de mes collègues pochoiristes de l’époque, qui avaient choisi cette technique en particulier parce qu’elle leur permettait d’intervenir clandestinement très vite sur n’importe quel mur ou support. Moi, j’ai toujours choisi de faire de mes collages un mini-évènement public et artistique : à chaque fois, j’invite mes amis et connaissances, d’autres artistes interviennent… De cette façon, les autorités pensent que je dispose des autorisations nécessaires, alors que mes collages ont toujours été sauvages. Je suis même intervenu une fois juste à côté d’un commissariat !
Comment choisis-tu les lieux ?
Esthétiquement parlant, le lieu doit pouvoir donner un « plus » au collage. L’ensemble mur + collage doit me parler d’un point de vue esthétique. C’est pour cela que j’évite les murs fraichement peints ou le béton. Je préfère les surfaces qui ont un peu vécu, cela ajoute de la poésie.
Y a-t-il des artistes qui t’ont particulièrement marqué ?
Ernest Pignon Ernest, le père fondateur du street art français et pour moi, le plus grand. En 1978, j’ai vu son premier collage, sur Rimbaud, rue d’Amsterdam à Paris et ça m’a « foutu par terre » !
Et puis Jacques Monory, et c’est pour lui rendre hommage que je mets du bleu dans tous mes collages.
Quels sont tes sujets de prédilection ?
Je colle des personnages accompagnés de phylactères dont les textes sont, soit sont inventés par moi, soit émanent de la personne représentée. Ces personnages illustrent les sujets qui m’importent :
Artistiques :
Musique
Cinéma: Louise Brooks,
ou Rita Hayworth.
Hommage à d’autres peintres, comme ici, une référence au « Pont de l’Europe », de Caillebotte.
Littérature: l’auteur nordiste Bernard Pouchèle,
ou Georges Pérec.
Sociaux:
Par exemple, j’ai beaucoup collé sur l’antiracisme,
Et les migrations.
Politiques :
Historiques :
J’utilise souvent les commémorations, qui permettent de mieux mettre en valeur un message, par exemple :
Les 100 ans de la guerre de 14-18 : j’ai fait deux collages sur le thème des « sacrifiés », pour rendre hommage à tous ces anonymes, dont on a sacrifié la vie pour des combats souvent absurdes.
L’un des deux montre mon grand-père, qui a été envoyé avec son régiment dans les Alpes italiennes. Ils se sont retrouvés dans des tranchées de glace, sans équipement pour l’hiver. Il y a eu plus de morts (dont mon grand-père) dues aux congestions pulmonaires qu’aux combats.
Les 150 ans de la Commune de Paris:
Le 14, rue Nicolet à Montmartre, carrefour de la poésie, de la musique et des luttes politiques et sociales :
La rue Nicolet est un lieu chargé d’histoire et c’est là également qu’habite une de mes amies pianistes. Nous avons eu l’idée de faire un spectacle dans la rue, moi avec mes tableaux et elle, son piano. Puis nous avons invité d’autres artistes le temps d’un week-end et c’est ainsi qu’est né le festival de rue des « Trans’Arts Nicolet », qui a lieu depuis 5 ans (quand la pandémie le permet), au printemps.
C’est dans ce cadre que j’ai représenté, au fur et à mesure, Mathilde Mauté – épouse de Verlaine – et les personnes illustres qu’elle a été amenée à fréquenter.
Un peu d’histoire:
A cette adresse a habité, à partir de 1860, un bourgeois rentier féru d’art et d’antiquités, Théodore Mauté. Son épouse, Antoinette-Flore, est une bonne pianiste et donne à l’occasion, des cours de piano. Elle a eu un fils, Charles, d’un premier mariage et elle a une fille, Mathilde, avec Théodore.
Théodore est délégué cantonal à l’Instruction publique du XVIIIème arrondissement. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Louise Michel qui a fondé en 1868 la première école française pour enfants inadaptés et infirmes, située au 24 rue Oudot (aujourd’hui rue Championnet). Elle la dirige jusqu’en 1871. Théodore apprécie Louise et la reçoit souvent chez lui.
Charles est un artiste dilettante, il fréquente le salon de Nina de Callias; il y rencontre Verlaine avec lequel il se lie d’amitié. Par son intermédiaire, Verlaine rencontre Mathilde, alors âgée de 14 ans. Il en tombe amoureux et écrit pour elle le recueil « La bonne Chanson », dont ces vers:
« Toute grâce et toutes nuances,
Dans l’éclat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents ».
Le mariage a lieu finalement le 11 août 1870, Mathilde a 17 ans. Louise Michel y assiste.
Fin septembre 1871, invité par Verlaine, Rimbaud débarque rue Nicolet, où il séjourne quelque temps. En juillet 1872, Verlaine part avec Rimbaud pour Bruxelles. Il ne reviendra jamais rue Nicolet, malgré les efforts de Mathilde qui va le chercher jusqu’à Bruxelles.
Après ces évènements, une autre forte personnalité fréquente également la rue Nicolet : le jeune Claude Debussy vient prendre des cours de piano auprès d’Antoinette-Flore, pour préparer son entrée au Conservatoire de Paris.
Pour en savoir plus:
- A propos de RueMeurt D’Art: http://ruemeurtdart.com/
- A propos de Ernest Pignon Ernest: https://pignon-ernest.com/
- A propos du 14, rue Nicolet: https://www.montmartre-secret.com/2020/01/14-rue-nicolet.verlaine-rimbaud-de-bussy.rumeurt-d-art.html
- A propos de Mathilde Mauté: https://fr.wikipedia.org/wiki/Mathilde_Maut%C3%A9
Par ailleurs, des œuvres de RueMeurt D’Art apparaissent dans deux de mes articles:
« Réfugiés »: https://francoisregisstreetart.fr/street-art-refugies/ et « Vive la Commune de Paris »: https://francoisregisstreetart.fr/vive-la-commune-de-paris/
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