… Ou l’itinéraire d’un collectionneur solidaire.
A Roubaix, le bâtiment de l’ancienne Banque de France a accueilli, pendant 10 jours, en juin 2022, une exposition consacrée à Banksy. Mais il ne s’agissait pas d’une exposition habituelle, puisqu’elle présentait la « Banksy Modeste Collection », ou, en anglais, la « Banksy Humanity Collection ».
Une exposition à l’entrée gratuite, organisée dans un ancien monument de la Finance, animée par des bénévoles coordonnés par le Collectif Migraction 59 et dont les bénéfices sont reversés à des associations qui agissent pour une société plus humaine et plus juste…
J’ai visité pour vous l’exposition et rencontré le collectionneur, François Bérardino, dit « Béru ».
Peux-tu m’expliquer comment est née ta collection ?
Eh bien, tout a commencé à Londres en juin 2007. J’y donnais une représentation (je suis comédien) et à la fin de celle-ci, j’ai rencontré sur un coin de trottoir, un artiste de rue. On a sympathisé, il m’a invité dans son atelier et m’a offert deux dessins. Ce n’est que quelques semaines plus tard que j’ai réalisé qui il était. Première rencontre décisive avec un artiste dont j’appréciais la multiplicité des interventions, la qualité des œuvres, l’humour et dont je partageais les combats. Bien entendu, il n’était pas question pour moi de jouer dans la cour spéculative du marché de l’art (et de toute façon, je n’en avais pas les moyens avec mes revenus d’intermittent du spectacle). J’ai alors commencé à collecter tout ce qui concernait Banksy et qui était à ma portée. En commençant par les pochettes de certains disques de Blur et d’autres artistes, en 2002 – 2003...
… des auto-collants…
… des couvertures de revues, comme celle de « l’autoportrait » que le supplément culturel du Times avait demandé à Banksy et a publié en Une en 2010.
… Un gabarit de pochoir avec son mode d’emploi, publié par la revue « Bizarre »…
… Un masque de Banksy vendu en kit par l’artiste …
En 2020, tu avais collecté près de 200 œuvres.
… Oui, et qui recouvrent l’ensemble du parcours de Banksy et toutes les facettes de son œuvre et de ses engagements militants.
Et tu as créé la SAS « Banksy Modeste Collection ».
Avec trois de mes amis. L’objectif de cette Société Anonyme Simplifiée est de pouvoir présenter ma collection. Avec plusieurs principes de base :
- Permettre l’accès à tous. Donc, entrée gratuite ;
- Sensibiliser le public aux causes défendues par Banksy et collecter des fonds destinés aux organisations qui viennent en aide aux personnes réfugiées, migrantes, en souffrance.
En quoi Banksy est-il un artiste important pour toi ?
C’est un artiviste. Il exprime son côté militant à travers son art. Et il l’a fait dès ses débuts, par le choix des thèmes, par l’édition d’affiches de soutien. Par exemple, pour payer les frais d’avocat de gens qui s’étaient battus contre l’installation d’un supermarché dans un quartier auto-géré.
Et par l’usage qu’il fait de ses retombées financières : financement d’un hôtel en Palestine, juste en face du mur de séparation…
… acquisition dernièrement d’un ancien navire des Douanes françaises pour en faire le « Louise Michel ». https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/quatre-choses-a-savoir-sur-le-bateau-louise-michel-de-banksy-en-difficulte-apres-avoir-secouru-plus-de-200-migrants-en-mediterranee_4089417.html
Comme le disait Desmond Tutu : « Si tu es neutre en situation d’injustice, alors tu as choisi le côté de l’oppresseur ». Banksy, clairement, est un artiste qui a choisi le côté des oppressés. Et il le fait par son art. C’est ça qui m’intéresse chez lui.
Et puis, il y a son humour, le fait que la plupart de ses images ont plusieurs lectures en fonction de la personne qu’on est. Ce qui, finalement, nous ramène à nous-mêmes.
On peut donc dire qu’il est toujours resté fidèle à ses valeurs, même s’il fait maintenant partie de l’establishment du street-art ?
Effectivement, il est devenu la figure de proue de ce mouvement artistique. Mais pas de manière anodine : ce qui l’a rendu célèbre, ce sont ses coups d’éclat, notamment les peintures qu’il est allé réaliser en 2005 sur le mur de séparation, en Palestine. C’est à partir de ce moment qu’il a acquis ce statut international.
Il fait partie de l’establishment parce que ses œuvres se sont vendues et revendues… Et c’est la spéculation qui en a fait un artiste bankable et dont on nous rebat les oreilles. Mais c’est fondamentalement un artiste qui crée énormément et qui lance beaucoup de projets depuis très longtemps et c’est ce côté que les gens connaissent le moins. Tous les éléments sur toutes sortes de support que présente cette exposition montrent la cohérence de son œuvre : chaque texte, chaque image a un sens, destiné à nous faire réfléchir sur l’absurdité de ce monde qui nous entoure, sur notre mode de consommer, notre rapport au monde animal, aux autres, à la guerre, à la pollution…
Peut-on dire qu’il a un rapport ambigu avec le marché de l’art ?
Oui. Il ne veut pas être exposé en galerie ou en musée. Il n’est représenté par aucune galerie ni aucun agent (il a eu un agent pendant une dizaine d’années, le photographe Steve Lazarides, mais n’en a plus depuis 10 ans). Mais il sait aussi jouer de ce monde de l’art. Il a fait des expos personnelles (entre 10 et 15), toujours dans des lieux atypiques (dans un bar, à la campagne, dans un énorme hangar…). Et très souvent gratuites. Quand c’est payant, c’est qu’il s’agit de gros projets, ou de financer des causes humanitaires. Les gens qui y travaillent sont rémunérés. Cela permet donc de créer une micro-économie autour de l’exposition. Il y a toujours une sorte de cercle vertueux autour de ses projets. Par exemple, l’hôtel en Palestine fait travailler les habitants autour et vend des objets « griffés » Banksy, mais fabriqués sur place.
Cette exposition est donc tout à fait dans la logique de Banksy
C’est en tous cas comme ça que je l’envisage. Elle est gratuite : quand on a 2-3 enfants et un petit budget, on ne se pose pas la question de savoir si on peut y aller ou pas. Ce n’est pas guindé, pas intimidant. Et cela crée un cercle vertueux autour des associations locales qui sont associées au projet.
L’expo va continuer à tourner ?
On est déjà allés à Grigny, Montpellier et Sète. En octobre 2022, nous serons à Marseille.
Pour en savoir plus:
- Sur Banksy: site officiel: https://www.banksy.co.uk/index.html
- Sur le Walled off Hotel: https://walledoffhotel.com/index.html
- Sur Migraction 59: https://m.facebook.com/Migraction59-371025359972615/?ref=page_internal&mt_nav=0
Intéressante cette rencontre qui permet de mieux connaître l’artiste
Merci