La Dame Qui Colle, je l’ai découverte en juin 2021 dès son premier collage, sa première « gardienne de rue ».
Et je l’ai rencontrée à son atelier, dans le quartier de Moulins à Lille, en décembre 2022.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis LaDame QuiColle. J’ai commencé à coller en juin 2021, après les confinements. C’était le début du projet « Les gardiennes de rue ».
Quel est ton parcours ?
Après le lycée, j’ai fait les Beaux-Arts de Bourges. Ça n’a pas été la période la plus simple de ma vie. C’est une école où l’enseignement nous emmenait plutôt vers de l’art conceptuel et ce n’était pas mon truc. Je venais plutôt de la peinture, doucement je me suis mise au dessin.
En 2010 je suis retournée en région parisienne, je suis née en banlieue Est. J’ai débuté par des expositions, des micro éditions, je me suis essayée à la mise en scène. Une période de doute sur mon travail artistique m’a forcé à me reconvertir. C’est à cette époque que je me forme au graphisme et travaille dans une agence. Je n’ai pas du tout apprécié. Pas parce que c’était dur mais plutôt parce que le traitement des clients était inhumain. Finalement on ne s’intéressait pas aux demandes.
Je suis partie à Lille en 2014, pour fuir une histoire d’amour toxique, violente. Et j’ai fait une école d’art-thérapie.
Pourquoi as-tu choisi le Street Art ?
Les murs, c’est l’espace de communication le plus large qu’on puisse avoir. Je commençais à avoir réellement envie d’aborder des sujets problématiques, mais ailleurs que dans mon atelier et en dehors de mon cercle habituel de spectateurs.
A la période des confinements, on sortait encore chez les uns et les autres. C’est à la rencontre du Portrait 1 dans l’une de ces soirées que j’ai eu ce déclic. C’est son histoire, la mienne et celles des autres que j’avais envie de raconter, de coller sur les murs. Cette personne est maintenant mon amie. Le projet a débuté il y a 3 ans et j’imagine combien les #gardiennesderue nous ont aidé toutes les deux.
Quels sont tes thèmes de prédilection ?
De manière générale, dans ma pratique artistique, c’est plutôt le changement climatique. Et plus je lis des livres féministes, plus je reviens à ces questions de patriarcat, d’écoféminisme, d’écologie. Au centre de ma recherche, il y a cette question : pourquoi on fait ça à notre environnement et comment on pourrait inverser la tendance, pour aller dans l’autre sens.
Un collectif en santé mentale qui s’est créé entre politologues, journalistes, et psychiatres de la région m’a invité à les rejoindre et réfléchir sur une manière de mettre en action la population. Leur point de rencontre est l’éco-anxiété et l’envie que cette dernière ne soit pas prise en charge comme une pathologie mentale mais plutôt comme une souffrance sociale accentuée par l’inaction de la société civile ou politique. Alors, c’est un peu moralisateur, mais il faut qu’on se bouge !
Parle-moi des « gardiennes de rue »
Le début de ce projet, ce n’était pas seulement les violences faites aux femmes, mais la place faite aux femmes qui est insuffisante. Ajoutons à cela la représentation hypersexualisée des corps féminins dans l’espace public. Mon enquête sur ces injustices provient des bouquins que je lis. C’est surtout, « Voir le Voir » de John Berger qui m’a bousculée et convaincue. Lorsqu’à travers ses recherches, je découvrais combien notre perception de nous, le genre féminin, était restreinte et conditionnée par le regard masculin. Que toute l’histoire de l’art se résumait à des œuvres d’hommes peignant des femmes nues pour de riches acheteurs. Voilà ce qui a dégradé notre image et notre force au cours des derniers siècles dans la représentation visuelle du genre.
C’est en juin 2021 que je me lance dans les collages de personnes qui posent pour moi et donnent à voir des femmes ordinaires. Ces « gardiennes de rue », ce sont un peu les vigiles de nos soirées. Cela m’a pris du temps pour choisir ce titre, autour des questions d’ange, vigile, vigilance. Elles sont gardiennes de nos soirées, elles nous protègent. Du coup elles sont plutôt agressives, comme les vigiles des boîtes de nuit.
Comment choisis-tu tes sujets ?
C’est un coup de cœur, quand je les rencontre ( j’aimerais dire c’est la sérendipité qui me fait découvrir ces modèles). Ça arrive que ça soit au cours d’une soirée, ou des amies d’amies, des gens dans les bars, parce qu’à Lille, on peut facilement faire connaissance…
Une étudiante en sociologie s’est rapprochée de moi il y a quelques mois pour étudier une partie de mon travail, ce que celui-ci tisse sur le territoire Lillois. Elle m’expliquait que dans sa recherche, elle souhaitait aborder le choix des modèles et surtout mettre en lumière le lien qu’elles ont sûrement entre elles. C’est lors de nos discussions que nous avons vu émerger leur point commun, hormis celui d’être de genre féminin.
Je me suis rendu compte qu’elles ont toutes un côté militant, sans que ce soit radical. Elles ont une envie d’engagement dans une résistance pour nos droits. Elles ont quelque chose de sensible, une quête d’authenticité, elles ont toutes un style particulier qui les définit sans qu’elles suivent une mode. Je pense que c’est ça qui m’attire quand je les rencontre, je les vois venir de loin.
As-tu des retours de la part de tes modèles, qu’est-ce que ça leur fait de se voir dans la rue ?
Quel chemin elles font à partir de notre rencontre ? Je n’ai finalement pas tant de retours que ça. Souvent, leur première réaction c’est : « Ça ne me ressemble pas ».
Le portrait 1 est une personne publique et j’avais peur de trop l’exposer, mais elle m’a dit : « Tant mieux si je suis reconnue par des gens. De cette manière, ils se rendront compte que les victimes de violences, il y en a partout autour d’eux, que c’est arrivé à plein de femmes, même à des femmes très proches d’eux ».
Il y en a une qui fait des selfies quand elle se croise et elle me les envoie, ça crée une sorte de sororité entre nous.
Mais il y en a que je ne colle plus, parce que je sais que ça peut être risqué pour elles.
Et les passants ?
Beaucoup trouvent que ces femmes sont agressives. Mais une fois, une jeune fille, qui a rencontré un de mes premiers collages, rue d’Artois, m’a raconté qu’elle passait tous les jours devant elle et qu’elle la trouvait hyper agressive et violente. Et puis : « Un jour« , m’a-t-elle dit « je me suis penchée sur l’étiquette et je me suis rendu compte que c’était pour moi qu’elle était là, gardienne de mon trajet de l’école à chez moi. Ensuite, je l’ai croisée dans plein de quartiers et j’ai eu l’impression d’avoir une amie partout ! «
Tu as également des commandes ?
Oui, en 2022, j’ai travaillé à Lille avec le quartier des Bois Blancs, dans le cadre des « Fenêtres qui parlent ».
A Roubaix, avec des femmes artistes de l’Alternateur.
Et je travaille sur un projet avec l’Université de Lille.
Quelle est ta technique ?
Je commence par prendre des photos du modèle, puis elle choisit celle qu’elle préfère. Elle choisit aussi ses poses et sa tenue.
J’imagine que je pourrais dessiner d’après modèle, à main levée, mais ça serait long pour le modèle. Et puis, au fil des années, je me suis rendu compte que le travail est différent entre le dessin d’après modèle et d’après photo. L’œil ne corrige pas de la même façon. Si je dessine d’après modèle, j’aurai quelque chose de plus vivant, mais qui « agrippera » moins, pour nos regards qui sont habitués à la communication visuelle. Je pense que c’est quelque chose que j’apprécie que le dessin soit hyperréaliste.
Puis je dessine en taille réelle. Selon les portraits, cela me prend entre 6 et 15h.
Le visage, c’est ce qui me prend le plus de temps et d’énergie, pour comprendre ce que je saisis de mon modèle. Je découvre autre chose, que je n’avais pas vu lors de la rencontre ni sur la photo. C’est étrange, parce que j’ai l’impression de voir des choses que la personne ne veut pas forcément me donner. Une bonne partie de mon travail, lorsque j’accède à ça, c’est de me rendre compte que cela sera visible dans son regard.
La couleur arrive après. Elle permet de faire le lien entre moi et le projet. Je ne faisais que du dessin en noir et blanc avant ce projet. J’ai dû apprendre les couleurs. Lorsque je travaillais comme art-thérapeute en unité Alzheimer j’ai découvert auprès de mes patients des accords de couleurs complètement fous. Souvent elles accordaient des couleurs vives entre elles, qui n’allaient pas toujours ensemble et cela m’a marqué et aidé dans mon travail d’aujourd’hui.
Enfin, je scanne et je fais imprimer.
Comment choisis-tu tes supports ?
Déjà, il faut éviter la brique ! Pas facile, à Lille. En fait, j’aime bien certains endroits que je trouve un peu cinématographiques. Des coins de rue, des endroits un peu déserts, qui donnent du sens à cette présence. Ce n’est pas si facile de trouver un bon endroit. C’est pour cela que je me suis orientée vers des demi-formats, et que j’ai entamé une série de portraits accroupis, parce que c’est plus facile de trouver des endroits au ras de la rue. Mais c’est très dur de demander à quelqu’un, en particulier une femme, de poser au sol.
Quel est ton artiste de référence ?
Celui qui m’a donné envie de devenir artiste, c’est Adrian Williams, un canadien assez peu connu. J’avais 14 ans. Il faisait de la politique avec de l’art et je me suis dit « Ah, ça veut dire que je peux ». Parce que je voulais faire de la politique, mais je n’étais pas bonne à l’école. Et je me suis dit « Tiens, je peux en faire avec de l’art ».
Et je suis pile là-dessus en ce moment !
Ta signature est assez inhabituelle, comme un cartel dans un musée ou une exposition ?
Oui, c’est une manière pour moi de donner de l’importance à mes modèles, de leur donner une existence propre.
Pour en savoir plus
Sur LaDame QuiColle:
- https://vozer.fr/2021/11/25/qui-sont-les-gardiennes-de-rue-de-la-street-artist-lilloise-la-dame-quicolle/
- https://circonflexmag.fr/la-dame-qui-colle/
- Rendez-vous également sur son site Instagram
Pour en voir plus:
Sur mon blog, d’autres articles consacrés à des street artistes lillois:
https://francoisregisstreetart.fr/nebuleuz-street-artiste/
https://francoisregisstreetart.fr/zacharie-bodson-streetartiste/
https://francoisregisstreetart.fr/ikste/
https://francoisregisstreetart.fr/collectif-renart-a-lille-10-ans-deja/
https://francoisregisstreetart.fr/streetart-benjamin-duquenne/
https://francoisregisstreetart.fr/en-avant-la-musique-jef-aerosol-et-mimi-the-clown/
Je viens de découvrir la Dame qui colle sur le journal la Provence puis ce blog qui permet d’en savoir plus sur cette artiste. Je vais le garder en favori pour en affiner le lecture et découvrir d’autres œuvres.
Très cordialement.
Roger ROBERT
Bonjour, je vous remercie pour ce message. Je suis heureux que vous ayez apprécié mon article à propos de cette grande artiste. Si vous souhaitez continuer à suivre mon blog, vous pouvez vous abonner à la newsletter. Ou je peux y ajouter vos coordonnées, si vous m’y autorisez. A bientôt.