Zacharie Bodson, je l’ai rencontré chez lui, à Lille, courant décembre 2022.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Zacharie Bodson, artiste à mes heures perdues, étudiant le reste du temps. J’ai d’abord fait une licence d’histoire de l’art, maintenant je fais du Droit, dans le but d’être commissaire-priseur. Cela dit, la démarche artistique est là depuis beaucoup plus longtemps : j’avais 15 ans, en 2015, quand j’ai commencé à faire de l’art urbain. Depuis quelques années, je développe une démarche d’art contemporain, avec un message, une imagerie, des idées…
Pourquoi le street art ?
En 2015, je dessinais un peu dans mon coin, et j’ai découvert, par hasard, des œuvres de Shepard Fairey et de C215. Alors, j’ai commencé dans la rue et j’ai vu que les gens qui avaient vu mon travail réagissaient, en particulier par les réseaux sociaux. Je me suis rendu compte que, par ce biais, tu suscites des idées, des sentiments. La rue est un moyen de partager avec le plus grand nombre, sans contrainte économique ni culturelle (même si ce n’est pas forcément complètement vrai).
Tu parlais d’ « imagerie » ?
Oui, j’ai développé ce que j’appelle une « imagerie » de prédilection, avec, en particulier,
Les « Jack »
J’ai commencé en 2015 avec une image de Jack Nicholson dans Shining. J’ai dessiné une vingtaine de têtes et une centaine de corps que j’assemblais.
C’était un personnage-phare qui me permettait à la fois, de pouvoir être identifié dans la rue, et de parler aussi de politique. Ça a duré de 2015 à 2017, puis j’ai arrêté, car ça devenait trop répétitif. Mais j’y reviens régulièrement, un peu comme un clin d’œil.
Le « Fake Beaux-Arts »
J’ai la chance d’avoir beaucoup fréquenté les musées avec mes parents et en tant qu’étudiant. Et j’ai eu envie de redessiner les œuvres que j’aime bien et de les coller dans la rue. Pour moi, c’est une manière de dire aux gens : « Si vous aimez ce que vous voyez, poussez la porte des musées ou des galeries. Vous verrez, ce sont des endroits passionnants. »
L’iconographie des années 50-60
Que j’utilise depuis deux ans environ.
Toute cette « imagerie » est au service de mes deux thèmes de prédilection, qui se mêlent l’un à l’autre :
La Politique
En fonction de l’humeur, il y a des sujets qui apparaissent, qui disparaissent, se mélangent : les hommes politiques, la vidéosurveillance, les NFT (qui auraient pu être un nouveau support artistique et sont juste devenus une grosse arnaque), la marchandisation de l’art… Chacun peut y voir juste une image sympa ou un déclic pour autre chose…
La Propagande
Il y a deux ans, j’ai acheté le Taschen sur la propagande chinoise et je me suis dit qu’il suffisait de remplacer les faucilles et les marteaux par des téléphones et des ordi : en fait, rien n’a changé. J’ai donc créé une série que j’appelle « Propaganda », avec des déclinaisons comme : « Propaganda Girl Power ». Des images qui mettent en scène une « famille idéale », mais qui, si on les analyse avec nos yeux d’aujourd’hui, sont sordides, avec le mari qui rentre du travail avec sa belle cravate et la femme qui fait le ménage… C’était il y a 50 ans, mais ça fait en même temps encore complètement partie de notre société.
Mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, ces thèmes se mêlent tout le temps et, par ailleurs, il y a forcément plusieurs niveaux de lecture. Comme pour la série que j’ai réalisée après le confinement :
Cet homme dont on ne voit pas le visage, avec un brassard qui rappelle, évidemment, des heures sombres de l’Histoire. Le brassard, c’est l’emblème de l’uniformisation. Et, sur le brassard, il y a un smiley, référence au travail de Jake & Dinos Chapman, 2 artistes anglais qui travaillent sur des thèmes très hard, par exemple en mettant des smileys sur un emblème nazi. C’était une manière pour moi de me moquer des artistes de street art qui pensent qu’il faut envoyer de l’amour aux gens, rassurer. Moi, je pense que tout ne va pas bien, que notre monde est en feu.
Quelles sont tes techniques ?
D’abord le dessin : je dessine sur ma tablette, avec un logiciel vectoriel qui me permet de faire un dessin de très bonne qualité, tout en étant léger, donc facilement maniable. Le principe : on fait une multitude de calques qu’on superpose ensuite. Je commence toujours par les yeux. Il y a des dessins qui ont nécessité jusqu’à 300 calques. En moyenne, je compte 8h de travail, mais beaucoup plus si le dessin est très complexe. Puis je vais sur Photoshop, je numérise les pochoirs, je compose tout, et j’imprime. C’est une technique qui est en perpétuelle évolution, en fonction des effets que je recherche.
Quels sont tes artistes de référence ?
En matière de street art, le déclic a été donné par Shepard Fairey.
Mais mes artistes de référence sont plus dans l’art contemporain : Jake & Dinos Chapman, Wim Delvoye, Joseph Beuys, Annette Messager, Christian Boltanski…
Tu ne signes jamais tes œuvres ?
Non, je ne signe jamais dans la rue. Quand j’ai commencé, je voulais créer un pseudo, mais j’ai tout de suite abandonné. Et je me suis rendu compte que, quand mon dessin était achevé, il n’y avait plus de place pour la signature.
Pour être tout de suite identifiable, j’ai donc travaillé sur les motifs et les couleurs.
Les motifs : au départ, il n’y en avait pas, juste des fonds unis. Mais au fur et à mesure, j’ai glané beaucoup de motifs dans toutes les époques (baroque, art déco, arts & crafts…).
Les couleurs : le rouge et le noir. Le rouge, parce que ça claque, c’est une couleur qu’on peut voir de loin dans la rue. Et la couleur de la propagande, c’est le rouge.
Mais, grâce au motif, on peut identifier mon travail, même si mes couleurs de prédilection n’y sont pas, comme pour cet hommage à l’Ukraine.
Pour en savoir plus:
Quelques articles de mon blog où apparaissent des oeuvres de Zacharie:
https://francoisregisstreetart.fr/peinture-quelques-chefs-doeuvre-revisites-1er-episode/
Ping : Rencontre avec LaDame QuiColle - François-Régis Street Art